En France le dressage canin rime encore trop souvent avec électrochoc et strangulation. Deux ans après une loi votée à l’Assemblée, nos amis à quatre pattes continuent de se faire choquer et électrocuter dans l’indifférence des chasseurs, des particuliers et des animaleries. Rien à faire, le Sénat roupille, le ministère temporise et Médor médite sur le sens de la démocratie.
Seul, Rogger a erré près d’une semaine dans les contreforts du Monte d’Oro, un massif montagneux en Haute-Corse. En juin dernier, le malinois croisé loup tchèque se retrouve livré à son sort, en pleine forêt de Vizzavona. Lorsqu’il est retrouvé dénutri, l’animal porte autour du cou une chaîne constituée de maillons chromés entrelacés qu’on trouve en vente libre : un collier étrangleur. Cet outil de tortionnaire, comme le collier à pointes ou électrique, a longtemps été considéré comme un outil utile pour l’éducation canine. Aujourd’hui, nombreuses sont les études qui démontrent l’inefficacité et la dangerosité de la pratique. Pourtant, ces accessoires d’un autre temps sont toujours accessibles en animalerie. Et cela, c’est avant tout grâce à nos sénateurs et leurs amis les chasseurs.
Car le 16 janvier 2023, la députée Renaissance Corinne Vignon, en lien avec des associations de la protection animale, a bien tenté de faire évoluer les choses à travers une proposition de loi. Son texte visait à interdire « l’utilisation et la vente pour les chiens et les chats des colliers électriques, des colliers dits « étrangleurs » et des colliers à pointes ». À l’Assemblée, la loi est votée à la quasi unanimité. Des articles de presse célèbrent alors cette avancée : ne reste plus qu’à faire passer au Sénat ce texte de bon sens. Deux ans plus tard et malgré les nombreux efforts de l’élue issue de la majorité, le texte semble s’être perdu dans les couloirs labyrinthiques du Sénat.
Chasseurs et électrochocs
Expliquons d’abord de quoi il s’agit. Cela peut évidemment paraître cruel mais il existe donc bien plusieurs variantes de ces tours de cous qui mutilent nos chiens. Prenons le basique, de la marque Martin Sellier, vendu une dizaine d’euros sur Internet : « Par simple traction de la laisse, le collier se resserre sur le cou de votre animal l’avertissant de sa mauvaise action », indique la fiche technique de la chaînette argentée. Passons à plus vicieux : l’électrique. Ce dernier est celui prisé par les chasseurs. Pour quelques centaines d’euros, vous pouvez vous l’offrir dans n’importe quel Décathlon près de chez vous. Et enfin le plus barbare : le Torquatus (aussi appelé collier à pointes). Il suffit d’apercevoir l’objet, muni de crochets rentrés vers l’intérieur, pour comprendre le martyre que vit n’importe quel chien qui le porte.
Rares sont ceux qui défendent encore publiquement les colliers coercitifs en France. Parmi les derniers pourfendeurs du bien-être animal : les chasseurs. Dans une lettre de 2023, le président de la Fédération nationale des chasseurs, Willy Schraen, expliquait que le collier électrique, « utilisé dans les bonnes conditions est particulièrement précieux et doit donc pouvoir continuer à être utilisé ». C’est peu connu, mais les chiens de nos Rambo du dimanche sont souvent munis de ces gadgets. Il suffit alors d’un électrochoc pour rappeler au pied le beagle parti à la poursuite d’un sanglier.
Dans sa quête parlementaire, Corinne Vignon se doutait qu’elle aurait affaire à ce puissant lobby, historiquement proche des sénateurs. Ce fut le cas. Alors que sa loi devait passer au Sénat, rien ne bouge. « Il fallait simplement qu’un sénateur de la majorité [Les Républicains, ndlr] ou que le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau à l’époque, l’inscrive à l’ordre du jour », rembobine-t-elle. Manque de bol, le ministre est adepte de la mise à mort d’animaux en forêts, et le lobby des chasseurs susurre à l’oreille des sénateurs LR. Elle tente malgré tout de faire avancer son affaire : « Je les ai sollicités à plusieurs reprises, sans réponse. J’ai organisé une manifestation devant le Sénat, j’étais même prête à faire une dérogation pour la chasse », explique-t-elle. Rien n’y fait. On fait comprendre à Corinne Vignon que sa proposition ne passera pas. « La vérité, c’est que le sort des animaux n’intéresse personne », cingle-t-elle.
Le retour du coercitif
Alors rien ne bouge. Et si vous pensez qu’ils ne sont plus nombreux, les maniaques de la strangulation canine : détrompez-vous. « En 2018, une étude réalisée par le Centre national de référence pour le bien-être animal estimait que 26 % des propriétaires les utilisaient encore », rappelle à Charlie Luc Mounier, vétérinaire et professeur en bien-être animal à l’école Vet Agro Sup. Alors même que toutes les études attestent de la dangerosité de ces colliers : « Ils provoquent des lésions articulaires et au niveau de la nuque, des hématomes, et même des déformations de la trachée », continue le vétérinaire.
La seule utilité de ces accessoires : contrôler son chien par la peur et la violence. « La plupart des chiens qu’on accueille en refuge sont ceux à qui on a appris à faire du mordant [technique de dressage destinée à faire mordre ou attaquer, ndlr]. Les maîtres perdent souvent le contrôle de l’animal, et décident alors d’utiliser des colliers coercitifs pour les récupérer », résume à Charlie Catherine Collignon, éducatrice canine spécialisée dans l’éducation positive. Dans le lot, il y a aussi des particuliers paumés qui veulent bien faire : « Un jour, une dame est venue me voir avec son chien qui portait un collier à pointe. Il saignait au niveau du cou, mais elle me maintenait qu’il n’avait pas mal », se désole l’éducatrice.
Pour analyser cette méconnaissance, il faut revenir à ce qu’a été l’éducation canine par le passé. Auparavant, le milieu des éducateurs était principalement composé d’anciens militaires aux techniques coercitives. Depuis une vingtaine d’années, l’éducation positive et ses techniques plus efficaces permettent d’éviter d’avoir recours à ces techniques. « Quand j’ai commencé mon métier il y a quinze ans, on était entouré que par des gens qui utilisaient ce type d’objets. Au fur et à mesure, les colliers coercitifs ont été remplacés par des colliers plats, puis des harnais… On voyait une amélioration. Mais depuis dix ans, cela s’est complètement inversé, les colliers étrangleurs sont revenus », analyse Catherine Collignon. Dans son viseur : la multiplication d’influenceurs spécialisés en éducation canine, loin de maîtriser leurs propos.
En juin dernier, les défenseurs de la cause animale ont cru au miracle. Plus de deux ans après la loi Vignon votée en première lecture à l’Assemblée, le ministère de l’Agriculture publie un arrêté. Il interdit l’utilisation de colliers étrangleurs et électriques pour les professionnels. Maigre consolation. « Puisqu’on reconnaît qu’il s’agit d’une maltraitance, pourquoi ne pas l’interdire à tout le monde ? », s’étonne auprès de Charlie Antoinette Guhl. Le 18 septembre dernier, la sénatrice Les Écologistes écrit en ce sens à la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard. Aujourd’hui encore, elle espère une réponse « qui ne devrait tarder ». Pour l’heure, la décision administrative permet toujours la vente et l’utilisation de ces colliers par les particuliers, comprenez les chasseurs. Une fois n’est pas coutume, les archaïques coureurs de gibiers conservent le droit d’user de leurs méthodes. Et puis tant pis pour le bien-être animal et les milliers de chiens qu’on étrangle. Comme dirait la députée Corinne Vignon : « La vérité, c’est que le sort des animaux n’intéresse personne. »


